En guise d'introduction , je prends deux citations du livre de Jean-Pierre Dozon et de Marc Augé 'La cause des prophètes' (Dozon, 1995) qui concernent le phénomène des mouvements profétiques en Afrique de l'Ouest. Ces citations peuvent aussi bien s'appliquer aux églises de guérison au Zaïre òu se traite la question du lien entre la santé des personnes et l'état de la société dans la modernité africaine.
'Les prophétismes sont des 'productions religieuses de la modernité' en ce qu'ils traitent, à leur manière, du fait colonial, du changement social, de l'émancipation politique ou du développement, et en ce qu'ils peuvent eux-mêmes la mettre en cause ' (Dozon,1995).
'Sans doute peut-on même suggérer que, d'une certaine manière, les prophètes africains ont été de vrais prophètes et leur message, sous ses formes les plus élaborées, s'appliquerait assez facilement , mutatis mutandis, à une situation généralisée à la Terre entière. Ils ont avant tout parlé , et parlent encore, de l'intime liaison entre la santé du corps individuel et l'état global de la société.' (Augé 1995)
La quête de soins
A Kinshasa la plupart des personnes qui souffrent d'une maladie quelconque cherchent la guérison d'abord dans le système médical. Quand le mal persiste, mais souvent aussi après la disparition d'un symptome, le patient et sa famille consultent un guérisseur traditionnel ou un prophète dans une église de guérison. Ils veulent connaître le sens du malaise, du malheur, de la malchance ou de la maladie. Particulièrement lorsque une maladie ou un malheur persiste, se répète et qu'on présume une autre cause que 'naturelle', la famille va trouver un guérisseur ou un prophète.
La découverte du sens de la maladie est au centre du système médical traditionel ( Devisch 1993). . En général dans une logique traditionelle lignagère, la maladie est interprètée comme la conséquence d'une action nocive venant de l'extérieur. La maladie est comprise comme l'expression dans une personne d'une perturbation ou d'un blocage dans son réseau lignager ou social. La personne malade se trouve dans une position nodale et est le dépot passif d'un non-su familial et social pathogène. La perturbation peut être localisée dans les relations codifiées entre la famille actuelle et ses ancêtres, dans les relations au sein de la famille ou bien dans les relations entre la famille et autrui . Toute perturbation réfère à la transgression ou au non-respect d'une loi ou d'un code social qui ordonne dans ce contexte culturel la vie des générations, des sexes et des alliances familiales.
Une fois la cause indiquée , un traitement aura lieu et celui-ci dépend des connaissances et de l'expérience du guérisseur . Des interventions dans le groupe familial pour faire payer une dette , ou règler un conflit au sein de la famille et des interventions auprès du malade, par le moyen de rituels et /ou de prescription d'une médication à base de plantes et d'écorces. Ce traitement traditionnel vise un nouvel équilibre dynamique du patient et de son groupe environnant, et le rétablissement des relations familiales et des codes culturels.
Actuellement nous constatons que les connaissances et les pratiques de cette médecine traditionelle ont tendance à se perdre, ou bien à être appliquées de façon simplifiée ou reductrice. En particulier en ville, une grande partie de la population a des doutes sur l' efficacité de la mèdecine traditionelle ou se pose des questions sur ses liens avec la sorcellerie.
Il est évident aussi que le contexte urbain avec un mode d'organisation social et familial changé, avec un accès très difficile aux produits de base de la pharmacopée , et avec une clientèle multi-ethnique ont un impact dérégulant sur la mèdecine traditionelle et sur ses résultats.
Certains malades au lieu de chercher ou de continuer à recevoir des soins chez un guérisseur traditionnel, s'adressent à une église de guérison et à son/ses prophètes et guérisseurs spirituels. Ces églises appartiennent au courant des "Eglises du Saint-Esprit" (Mpeve ya nlongo) qui se réfèrent à Simon Kimbangu comme le profète fondateur de ce mouvement. Chaque église est autonome et elle rassemble dans une organisation plus ou moins formelle un réseau de quelques uns à plusieurs dizaines de noyaux-églises qui se réclament d'un même prophète-guérisseur. Ces églises de Mpeve ya nlongo se considèrent comme diffèrentes des églises officielles catholiques, protestantes et kimbanguistes par leur but thérapeutique explicite. Ils se situent dans la succession de Kimbangu comme profète guérisseur. Les patients n'y viennent pas chercher une nouvelle réligion, mais une solution pour leur souffrance et pour l'état de crise dans lequel ils se trouvent. Ce sont des "hopitaux spirituels" qui n'acceptent que les personnes avec un "problème". Les moyens financiers des églises Mpeve ya nlongo ( les 'églises de l'Esprit Saint') sont très reduits. Le profète et son équipe vivent avec les moyens et les dons que les patients et leurs familles apportent. Ils habitent dans les quartiers populaires de la cité ou sur les bords de la ville dans des cabanes construites.
L'acceuil d'une famille qui souffre
Monsieur L. D. est père de famille. Il a un enfant fiévreux qu'il emmène dans l'église de papa Ntau à Selembao. La 'mbikudi' (aide-guérisseuse) qui le reçoit lui demande de revenir demain pour la réunion du culte, il doit apporter un cahier dans lequel on va noter ce que le 'molimo' ( l'Esprit Saint ) révèlera pendant la réunion. C'est à ce moment que papa L.entendra ce qu'il doit faire pour guérir son enfant. On lui conseille aussi de venir avec son épouse . Avant qu'il ne quitte, la 'mbikudi' et quelques fidèles qui vivent dans la communauté font une prière pour l'enfant malade et pour la famille qui souffre.
Le lendemain on retrouve L. avec son épouse, l'enfant malade et un autre enfant dans l'assemblée . Celle-ci est composée de fidèles (35), de nouvaux ou d'anciens malades avec leurs familles (80 femmes, 40 hommes, 50 enfants) et de toute l'équipe thérapeutique ( 15) - le prophète Ntau, le prédicateur et les 'mbikudis'. Mr. L. a donné au secrétaire le cahier avec les coordonnés de la famille qu'il a inscrit sur la première page. Le secrétaire a ainsi reçu 25 cahiers ce matin avant le commencement du rite. Dans la dernière partie de ce rite qui durera environ 5 heures, et au moment des 'oeuvres spirituelles', le secrétaire appellera un par un les familles qui étaient venus chercher de l'aide au courant de la semaine . Ils se mettront à genoux devant les 'mbikudis' qui en transe feront une révélation au sujet de la maladie. Le secrétaire notera dans le cahier ce qui est révélé et si la famille accepte le contenu de la révélation , ils signeront le texte écrit. Avant ce moment de révélation , le père et la mère L., et leurs enfants auront déjà été acceuillies comme les autres nouvaux par des chants d'acceuils, ils auront écouté les psaumes , les annonces de la communauté, les témoignages de guérison, les prédication et la lecture de texte bibliques et participés aux chants des chorales. Ils auront aussi donné l'offrande et priés comme tout le monde dans l'assemblée.
Les 'mbikudis', en majorité des femmes, ont une place essentielle dans les rencontres thérapeutiques. Lors de leur propre cure thérapeutique une capacité de révéler et de guérir s'est manifestée. Par la suite, elles peuvent exercer et développer cette capacité dans le rituel d'une façon plus structurée. Elles sont les auxiliaires du profète et des intermédiaires thérapeutiques entre lui et les patients. La dernière partie du culte, tous les dimanches, est consacrée aux 'oeuvres spirituelles', c'est à dire aux 'révélations par l'Esprit'. Après un moment de concentration collective en dehors de l'espace du culte, les 'mbikudis' entrent dans un état de transe . Elles parlent 'en langues', des mots et des phrases incompréhensibles, entremêlées d'une ou plusieurs phrases cohérentes. Les malades se mettent devant eux à genoux , les mbikudis leur parlent et leurs touchent , leurs aspergent et leur donnent à boire de l'eau . Un contact s'établit entre le malade et la mbikudi, le malade tape dans les mains si'il accepte ce que le 'Molimo' ('l'esprit' ) par la bouche de la 'mbikudi' lui dit à son sujet. Quelquefois une discussion a lieu entre la 'mbikudi' et le malade qui ne comprend pas ou qui refuse ce qu'on lui dit. Ce moment de révélation et de contact avec 'l'esprit' dure 10 secondes, 1 minute, quelquefois 15 minutes.
Pour papa et maman L. et leurs enfants, deux mbikudis à tour de rôle, parlent:
1re mbikudi: Vous êtes devant moi le Molimo parce que vous avez un problème dans la famille. Votre fils que vous avez ici est malade, il fait la fièvre la nuit, il pleure beaucoup et il a sérieusement maigri........ Vous êtes venus me voir parce que vous voulez savoir quelle est la cause de cette souffrance ? D'òu vient cette maladie?...... Mais je vous dis que vous devez choisir entre l'aide que le molimo voudrait assurer à l'enfant pour le guérir et la divulgation de la cause de sa maladie et dans ce cas , vous allez traiter ce problème seul, avec le danger que cela comporte pour la vie de l'enfant.
le père de l'enfant: Seigneur, tu sais quel est mon problème. Je voudrais que tu me dises quelle est la cause de cette maladie car j'ai des problèmes chez moi à la maison.
1re mbikudi : Je vois tout cela. Mais c'est un problème de choix. L'enfant souffre parce qu'on lui a mis quelque chose dans le ventre, c'est ça qui le tourmente...
2me mbikudi: Je vois que vous avez des discussions entre vous parents. Voulez-vous que l'enfant guérisse ou pas ?......Si vous voulez que l'enfant guérisse, alors laissez-le entre les mains des serviteurs de Dieu qui vont le traiter. Ce n'est qu'à sa guérson qu'on divulguera la cause de sa maladie.
Le père : Seigneur, tu vois quelles sont les mésententes auxquelles je suis tenu de faire face?
2me mbikudi: La maman de l'enfant qui est ta femme est aussi malade. Elle fait des fièvres et elle a sérieusement maigri comme l'enfant. Elle était sous perfusion avant votre arrivée ici. Elle voudrait savoir si ce n'est pas la même chose qui cause la maladie à elle et à l'enfant.
Le père: Exactement! La maman pense que c'est l'enfant qui est à la base de sa maladie. Elle voudrait le tuer en le brûlant avec un pneu. Ma femme n'aime plus notre propre fils. C'est pénible pour moi de supporter une telle situation. Alors, c'est pour cela que je voudrais que le Molimo dise exactement d'òu est venue la maladie de chacun.
2me mbikudi : Vous étiez allés dans un village du Bas-Zaïre qui n'est pas le vôtre. Vous vous êtes installés dans ce village pour fuir la souffrance de la capitale. Vous aviez des champs et des charniers pour la braise....... Dans ce village, vous viviez au milieu du village. En diagonale de votre habitation, il y avait une case de l'autre côté de la route. Dans la cour de cette case, il y a un gros arbre touffu....
Le chef de ce village reste à l'entrée du village. C'est là que se trouve sa cour. Toi, le mari., tu es jeune par rapport au chef du village. Mais souvent, tu entrais en conflit avec lui et vous discutiez beaucoup....
Dans ce village il y a des enfants qui avaient le même âge que ton fils et qui sont décédés por le même problème.
En bref, ton fils a mangé de la chair humaine avec trois de ses copains. C'est votre voisin d'en face dont la case se trouve sous le gros arbre qui la leur avait donnée. C'est cette chair humaine qui a tué les trois autres qui est entrain de le déranger. En effet, leur initiateur leur avait demandé qu'ils tuent des gens pour restituer sa chair, ils ont refusé. C'est ainsi qu'il s'est résolu de les tuer tous les quatre.
1re mbikudi: Quant à la maman, je vois que certains de ses frères sont décédés dernièrement. Sa maman aussi est décédée. ......Quand vous étiez dans le village òu vous étiez allés cultiver les champs, ta femme est allée rendre visite aux membres de sa famille dans son village. C'est là-bas que se trouve la cause de sa maladie. Ce sont ses oncles qui lui en veulent....
Le Molimo vous recommande que l'enfant soit interné à l'hopital spirituel dès maintenant; la maman aussi sera ici avec l'enfant . Et ils doivent aller pour le bain à Mpulusu la semaine prochaine.
Plusieurs fois pendant la révélation le père ripostait et refusait ce que les 'mbikudis' lui disaient. Il donnait l'impression de vouloir entendre que la cause de la maladie se situait du côté de sa femme . Au début il demandait plûtot un jugement qu'un traitement . A la fin il a accepté de laisser l'enfant avec la mère ensemble sur place. Le père reviendra le dimanche prochain et une séance de purification avec l'eau d'une source à Mpulusu (lieu de culte de purification du prophète Ntau) aura lieu. Ensuite des membres de la famille du père et de la mère vont être convoqués pour résoudre les problèmes familiaux. Ces interventions familiales auront lieu suite à et sur base des révélations des conflits familiaux . D'habitude le prophète et les 'mbikudis' ne livrent ces révélations plus détaillées qu'après que le malade est en partie récupéré.
Une deuxième famille , la famille de papa V., est acceuillie par une 'mbikudi' pour sa révélation. Cette famille V. qui consulte est constituée d'un couple d'une cinquantaine d'années ( les grands parents paternels ), un jeune couple ( le père et la mère ) et un petit enfant de 2 ans.
La mbikudi s'adresse au vieux papa V., le grand-père: Papa, celui-ci c'est ton fils, celle-ci sa femme qui tient en main leur bébé et celle-là , c'est ta femme, la mère du père du malade.... L'enfant que vous amenez est tout le temps malade. Il fait des fièvres fortes, il fait aussi la diarrhée. Souvent , les soirs, il a de la chaleur au niveau des membres supérieurs mais les jambes sont froides. Aussi je vois qu'il y a eu des décès dans votre famille.Mais je ne vois aucun sorcier dans votre famille à toi le père derrière ce problème......
Le papa de l'enfant malade a déjà perdu un premier enfant qu'il ont eu avec cette femme. Le marriage de cette jeune fille avec votre fils est contesté par la famille de la femme. Ce sont les fétiches Wumba de la famille de la jeune fille qui ont pris le premier enfant.....
Lui-même le jeune homme ici est un chauffeur-mécanicien mais il ne travaille pas. Qu'il m'apporte son permis. Mais vous voulez savoir d'òu est venue la maladie?
Jeune homme, tu as encore une autre fille qui vit avec toi. Tu dois faire attention car ton amaigrissement vient de ta méconduite. Si tu veux encore vivre lontemps, tu dois savoir te contrôler dans la vie. Sinon tu auras de la malchance tous les temps, car tu peux avoir le boulot aujourd'hui et deux semaines plus tard, on te flanque dehors. Cela relèverait de tes péchés.....
Toi le papa de ce jeune homme, tu as des problèmes au boulot. On voulait te donner une promotion mais un jeune qui était sous tes ordres a été promu à ton étonnement...
L'origine de ton malheur professionel réside dans ta famille. Tu as un jeune frère qui aime toujours se faire valoir dans ta famille à tes dépens et pourtant, tu es le plus âgé de ta famille. C'est lui qui a bloqué ta promotion.....
Je viens aussi de voir que ton fils, le père de l'enfant et lui-même aussi malade. Il a des plaies dans le thorax et il fait la fièvre. Il doit faire faire des examens de radio pour qu'on localise les tâches que je vois en lui.....
Pour la maman du garçon, il n'y pas de sorciers dans sa famille car il n'y a jamais eu un jeune qui est décédé. Les gens qui meurent sont toujours âgés....
Mais je vois qu'elle même ne voit plus très bien. Ses yeux voient flou.
Toi le papa, tu dois faire attention car je vois que tu es le seul responsable et négociateur de ta famille ici à Kinshasa. Tu avais de l'argent mais tu n'as plus rien. Tu as une parcelle et des enfants qui ne travaillent pas. Mais il y a une mésentente entre tes enfants et tes neveux. Car malgré que tu es vivant, tes neveux ont les yeux braqués sur tes biens et ta parcelle. Après toi, il n'y aura personne pour regrouper les enfants.....
Toi la maman du jeune homme, tu as un jeune frère qui fait des travaux de champs, il est dans un village du Bas-Zaïre aux environs de Kinshasa. Il y a déjà fait quatre ans. Mais il ne gagne rien de son travail car il ne parvient pas à épargner son argent qui provient des champs....
Chaque fois qu'il vient vendre la braise ou des produits des champs il gagne de l'argent. Mais il ne voit pas ce qu'il en fait.
Tout cela est dû à ceci: le chef du village òu ils sont allés travailler a placé une statuette à la croisée des chemins. Dès que les gens qui travaillent les champs passent à ce niveau avec l'argent, cette statuette le leur prend. Si cette statuette continue à être là, ton frère ne sera jamais prospère, lui et tous ceux qui travaillent aux champs dans ce village....
Le Molimo décide d'y envoyer des serviteurs de Dieu pour enlever cette statuette si ton frère vient témoigner.
Ce que je décide est ceci:
Vous devez venir régulièrement aux séances de guérison et des prières. L'enfant doit être hospitalisé ici d'abord, après ils iront à Mitendi òu papa Ntau va neutraliser les effets des fétiches de la famille maternelle qui voudraient le tuer...
Le papa de l'enfant malade doit faire des examens à la radio et se faire soigner par le mèdecin. Toutefois les médicaments qu'on lui donnera, il doit les amener ici pour qu'on les bénisse...
Il doit aussi chercher à s'entendre avec la famille de sa femme afin que les enfants et la maman soient protégés sinon il ne fera que gérer des cas difficiles....
Lui-même doit éviter la débauche car Dieu a instauré le marriage comme institution, faire le contraire c'est s'attirer la colère de Dieu.
Cette révélation est plus longue et plus détaillée que dans la plupart des cas.
La 'mbikudi' 'révèle' ainsi quelle partie du corps ou du monde du patient est malade, elle indique les dangers qu'il court et donne des éléments de l'étiologie de la maladie ou du "problème". A la fin elle prescrit ce que la famille devra faire pour que le malade puisse guérir. Le malade peut être envoyé à un hôpital pour une intervention médicale ou chirurgicale pour revenir chez le prophète Ntau ensuite. Ou bien le patient devra rester dans la communauté òu y venir régulièrement pour prier, participer au rite collectif, se reposer ou inviter un certain parent à venir. Cette "révélation" première n'est jamais complète et définitive, elle sera reprise et détaillée plutard dans d'autres révélations du profète et des mbikudi pendant d'autres séances lors des séances de rituels collectifs .
Cadre contenant
On peut soutenir l'hypothèse générale qu'une église comme celle de Ntau propose un cadre contenant et un groupe transitionnel qui acceuille les personnes en crise individuelle et sociale et qui permet une élaboration de cette expérience de rupture .
Le profète et son église répond ainsi à la situation de crise au niveau groupal, social et culturel ét à la crise individuelle d'une personne ou d'une famille. La logique traditionelle, lignagère et basée sur la solidarité et la dépendance de la personne au groupe social est érodée, particulièrement dans une grande ville comme Kinshasa. Elle est mélangée avec une logique autre, chrétienne, capitaliste et individualiste.
D'autre part les structures sociales des villages et des familles sont mises en brèche par la migration vers la ville et la dispersion des groupes familiaux suite aux difficultés économiques. Les groupes d'appartenance primaires (Rouchy 1990) se fragmentent et deviennent plus nucléaires, et les rôles et les statuts qui étaient très précises auparavent perdent leur valeur symbolisante. L'organisation des familles et des rapports entre hommes et femmes se modifie dans la vie urbaine, ce qui est à la base de difficultés et de vulnérabilités identitaires des hommes et des femmes ( Audisio 1994).
R.Kaës (1979,1987) a explicité dans ses travaux sur la crise, comment l'individu est menaçé dans son unité, sa continuité et sa sécurité quand le cadre est en rupture. Toute la partie stable du Soi est ébranlée, ce qui est vécu comme une menace mortifère et comme une cassure dans la continuité des choses (Puget 1989). Le cadre extérieur perd ses capacités contenantes, défensives et un nouveau cadre n'est pas encore constitué òu il devient incohérent. Ce qui est déposé et gardé dans ce cadre, c'est à dire les parties indifférenciés et non-déliés des relations primitives symbiotiques surgissent et menacent le Soi.
Dans une société traditionelle la guérison est le fruit d'une réintégration du malade dans son monde familial et d'une remise en ordre du groupe familial et social. L'interprètation persécutive par la sorcellerie permet de localiser et de gérer les tensions, les conflits et les transgressions. Mais quand 'les groupes de base se désorganisent, le recours à ces modes de défense -pensée magiques, sorcellerie, projection sur l'extérieur- a des conséquences négatives et produit des troubles graves. L'individu déculturé est privé de l'environnement groupal traditionnel qui lui permettait d'utiliser les méchanismes de projection de l'angoisse et de la culpabilité sur le groupe et le sorcier.' (Kaes 1979 )
Pour les patients en crise les conflits dans un cadre de groupe primaire en rupture ne se traitent plus et on se trouve dans l'indifférencié. Les groupes d'appartenance secondaire comme les groupes de collègues, les groupements etniques plus au moins organisés, dans la cité, les groupes professionels dans lesquelles le transitionnel cherche appui , ne forment pas un contenant actif et stable. En somme il n'y a plus de possibilité de reintrojections structurantes des éléments projetés par une gestion et des rituels du groupe primaire cohérents (Rouchy 1990) Souvent, les patients des profètes le racontent : une thérapie traditionelle n'a pas amené la guérison parce que la famille est dispersé ou des membres-clé n'ont pas voulu venir ou participer au séances et aux règlements. Il y a une angoisse fondamentale contenue dans les plaintes diverses, une angoisse de perte de soi et son monde, la menace d'une destruction vitale, des questions de vie et de mort. La perte de ceux-ci et les exigences souvent contradictoires et inconnues des nouveaux contextes produisent de fortes précarités identitaires, dépressions, troubles psychotiques et psychosomatiques .
Le prophète et son groupe ont creé une structure groupale, un neo-cadre (Kaes 1979) avec une importante capacité de fonctionner comme contenant et espace transitionnel. A l'intérieur de la communauté, les espaces, les fonctions, le temps et les codes de comportement sont circonscrits avec leurs limites symboliques et formelles. Pendant son séjour le patient et une ou plusieurs autres personnes de sa famille participera à différents types de rencontres organisées d'avance dans un programme hebdomadaire . Les patients transitent entre plusieurs expériences qui ont chacun leur espace (Le Roy 1994b), leur temps propres et leur type de relation. Il y a des moments òu l'on est dans une masse comme dans le rite du dimanche qui se réfère à une figure charismatique, il y a des moments de contact individualisé avec le profète ou une 'mbikudi'; on appartient au groupes des nouvaux/anciens, des hommes/femmes, vieux/jeunes, malades/guéris; on vient d'une famille de telle ou de telle région et tribu; il y a des moments de culte collectif, de prière individuelle , de révélation, de réflexion et de discussion sur le sens des révélations, de rite de purification individuelle ou familiale , de palavre thérapeutique avec le malade, sa famille et le profète/la 'mbikudi', de repos, de travail manuels, d'organisation de la vie des familles dans la communauté.
Groupe transitionnel
Pour les membres de la famille, la maladie est une façon, un prétexte pour mettre au devant des personnes attitrées et confirmées dans ce rôle par la société ambiante , le trouble et le dysfonctionnement familial en vue d'une solution du problème. Cette solution consiste en la guérison du patient et en la possibilité pour la famille de rénover le dialogue rompu en son sein. Le dialogue et l'entente familiales sont des conditions essentielles pour qu'une maladie puisse être guéris que ce soit dans le cadre d'un traitement traditionnnel , spirituel ou dans le cadre d'un traitement médical.
Nous voyons dans les deux cas décrits comment dès que la famille pose sa demande le groupe soignant contenant entre en action. Le malade et sa famille sont amenés à participer au dispositif prescrit: acheter le cahier et revenir le dimanche avec la famille pour le rite. Dans le 1er cas , papa L. doit se plier dans la rencontre avec les 'mbikudi' et s'il veut recevoir de l'aide, accepter la décision de 'Molimo'. La 'mbikudi' refuse de donner une cause unique qui explique la maladie de l'enfant et le comportement de sa femme. Tout au long de ce processus le prophète et son groupe de soignants gardent le contrôle sur le dispositif thérapeutique.
Les 'mbikudis' sont impregnées largement des valeurs culturelles du milieu de Kinshasa qui chemine vers une communauté culturelle partagée, malgré les origines ethnique diverses de la population. Souvent, au sein d'une même église, les 'mbikudis' proviennent de groupes ethniques différents. Ils sont des observateurs avertis et ils remarquent lors de la première consultation quelle membre de la famille vient avec le malade et quelle position cette personne occupe dans le réseau familial. Ces observations , compte tenu de la position traditionelle de la personne dans la famille, leur permettent déjà de tirer des pistes d'exploration pour la cause de la maladie. Par exemple, un père vient avec un enfant malade , alors que la mère est absente. La mère transmet la vie qui est sauvegardée par l'oncle maternel. Elle est propriétaire du sang et est sensée le sauvegarder. Dans une telle situation la mbikudi va se poser la question: que s'est-il passé ? Pourquoi un rejet de l'enfant par la mère. Quand , comme autre exemple, des grands parents paternels accompagnent les parents d'un enfant malade, on se posera la question pourquoi la famille maternelle est absente. D'autre part une 'mbikudi' essaiera de comprendre la position de la personne qui demande les soins pour le malade. Cette personne peut être là parce qu'elle a été accusée et qu'elle cherche à se déculpabiliser. Mais la personne qui demande peut aussi être un accusateur qui vient accabler les autres membres de la famille.
Les 'mbikudis' qui assistent le prophète jouent donc un rôle très important. Elles sont d' anciennes malades qui ont faits la preuve de leur don de devination/révélation. Elles connaissent l'expérience d'être malade et d'avoir été dans une position nodale pathogène dans une famille. Cette expérience leur aide à cerner mieux et rapidement des enjeux familiaux et des réalités culturelles actuelles pour les avoir vécus intensément .
Il apparaît dans les deux cas que les soins (le diagnostic et le traitement) visent clairement la traversée d'une crise familiale et la restructuration du groupe familial.
Dans et de par la révélation tous les membres de la famille sont d'une part impliqués dans la demande et plusieurs personnes sont déclarées malades, malheureux ou en danger. Dans l'interprétation de la cause de la maladie d'autre part, plusieurs membres (et leurs familles respectives) sont rendus acteurs et responsables de par leur comportement ou par leur part dans des conflits dans le couple, la famille ou les relations avec des voisins, des ainées et des collègues. Tout le monde est en même temps sujet et objet d'un mise en scène familiale pathologique. Le 'Molimo' par la bouche du prophète et des 'mbikudi ' met en crise et ainsi arrête les processus de fragmentation, scission, expulsion, de mise à l'écart et il donne un nom à des contenus projetés et clivés. Tout le monde est concerné et rendu responsable. L'interprètation ne vise pas une personne mais un ensemble de personnes.
La question de la justesse de la révélation est moins importante que son effet.. L'interprétation relie , fait écho à des angoisses et fantasmes dans la famille , apporte donc un sens auquel chacun peut s'accrocher, et donne accès et espoir à un changement. Les 'mbikudis' , sous l'apparence de l'arbitraire de la transe, répondent dans leur révélation aux réactions ( acquiescement, refus, intérêt ) des personnes devant eux. Ils tendent à ce que la famille accepte ce sens multiple et unifiant. La signature finale du secrétaire et de la famille du compte-rendu de la révélation fonctionne à partir de ce moment comme support et contrat.
Les 'mbikudis 'occupent une position médiane face à la maladie et au conflit sous-jacent . Ils n'accusent pas mais ils dévoilent des causes. C'est peut-être cela aussi le sens des étiologies multiples , qui n'excluent aucune partie dans la génèse de la maladie. Le fait que tout le monde se sent concerné et coupable jusqu'à un certain degré , permet qu'une solution peut être trouvée dans une réconciliation familiale. Cette culpabilité partagée donne la chance à l'instauration ou au rétablissement du dialogue dans le groupe familial.
Nous constatons donc que le dispositif permettent le déploiement d'une pluralité et d'une hétérogénéité dans le monde du malade.Il y a d'abord cette mise-en-scène d'une pluralité d'acteurs présents ou absents du monde du malade. Il y a aussi une pluralité de plaintes qui ont abouti à la demande de la famille.
Il y a aussi dans la révélation une pluralité de causes . Ensuite une pluralité de registres est utilisée dans le traitement. Le registre traditionel avec la sorcellerie et les objets fetiches, et la remise en ordre par la palavre familiale des responsabilités, des droits , pouvoirs et rapports de filiation et d'alliances . Certains prophètes utilisent aussi les plantes médicinales traditionelles.
Le registre spirituel avec le clivage du bon/mauvais, esprit saint pur / esprit mauvais impur, Dieu qui est responsable pour tout et qui nous prend en charge/ moi qui suis responsable (donc coupable) pour ce qui va et ne va pas ; frontière dedans/dehors; rite de purification du groupe, de la famille et du sujet.
Le registre corporel et biologique avec les causes 'naturelles' (les trous dans les poumons: la tuberculose) et les interventions corporelles ( diagnostic, médication moderne ou traditionelle , interventions médicales, massages, bains ).
Le registre psychologique et relationnel qui situe la maladie et le traitement dans les rapport du sujet à l'autre de la famille , du voisinage et du travail, dans les conflits, rivalités et désirs . Le traitement fait appel aux auto-restrictions, aux choix personnels et au pardon comme acte individuels. Le groupe permet que ce brassage et cette multiplicité de registres soient dites et vecus . Ainsi se récréent des liens , du mouvement et la force de vie dans et entre les personnes.
Comment le dispositif groupal thérapeutique fonctionne-t-il ?
Toutes ces activités collectives dans le rite collectif sont traversées et investies par un courant associatif et pulsionnel intense qui s'exprime à tout moment dans les transes, les chants, mouvements rhytmés et les révélations. La musique chantée est répétitive et elle permet d'exprimer divers états affectifs comme la joie, l'allégresse, la peur, le receuillement, l'espoir, l'attente.
Dans ce cadre les personnes ont l'occasion de revivre et de reprendre des choses qui ont rythmé la vie de leur groupe d'appartenance primaire ( le groupe familial élargie ) et qu'ils ont en partie perdu : parler des causes de la maladie, raconter des histoires familiales , participer à une vie communautaire rythmée et ritualisée, bouger entre des espaces privés (familiaux) et des espaces collectifs (villagois). Ces sensations et émotions font partie d'une base partagée commune, qui n'est pas individuée, ni mentalisée, ni formés en sentiments. Se trouver dans ce bain permet aux personnes de transférer dans ce neo-groupe contenant et abrité ce qui s'est passé dans le groupe traditionnel. Ceci est reconstituant en soi et permet aussi de délier les ensembles pathogènes .
A travers les nouveaux rituels inventés, les émotions partagés, les moments catharctiques et un système moralisateur, les gens sont tenus peut-être comme par les rituels avant, mais ils sont aussi obligés de faire quelque chose eux-mêmes.
Ils doivent se soumettre au valeurs et aux modes d'organisation psychique du groupe de l'église . Au lieu de s'isoler ou de tomber entre les rêts des groupes sociaux actuels, et de disparaître comme personne, là dans le groupe thérapeutique ils existent pour quelqu'un.
Au cours de la cure le patient devra par exemple mettre en acte dans sa vie reélle un changement de sa conduite morale et si cela lui est impossible passer par cet apprentissage dans la communauté. La guérison devient possible par 'l'expulsion du mal ' pendant la cure et par la prière individuelle et collective Ces prières sont des implorations et des supplications à Dieu pour recevoir et retrouver la puissance, le contrôle et la confiance en soi. Voici ce que dit , dans le rite, le prédicateur papa Jean, l'adjoint du prophète Ntau: Si tu as un problème avec ton frère, avec ton père, avec ton oncle, avec une autre personne, si vous vous êtes chamaillés, insultés, allez demander pardon. S'il est au loin, viens ici exposer ton problème. Ceci afin que le seigneur pardonne ta faute. Mais si tu caches cela, l'issue de ton cas sera malheureux... Ta stupidité et ta naïvité t'entraînent dans la mort. Dans ce cas, la faute n'incombe pas à Dieu, mais c'est ta faute. Il ne faut pas seulement prier, il faut l'acte du pardon.
Celui qui prie doit devenir une nouvelle personne. La prière est la protection du croyant; même si on te piège avec des fétiches sur ton chemin, si tu as la croyance, ces fétiches ne te feront rien.
Les prophète et les 'mbikudis' pratiquent souvent une sorte de massage sur le corps du patient, òu bien guidés par un message dans la transe, òu bien en dehors des rites collectifs pendant des séances individuelles.
Le groupe église est un groupe intermédiaire entre le groupe primaire (la famille) et les groupes d'appartenances secondaires, servant de contenant comme le groupe primaire, permettant de se resourcer d'une certaine façon et de remettre en place quelque chose qui permet d'aller vers l'extérieur.
La capacité transitionelle se retrouve dans le fait que dans un lieu d'innovation une forme de structuration novatrice est créée qui prend en compte le cadre traditionnel en crise et serait adapté au contexte changé ( Le Roy 1994a). Le groupe de Ntau apporte la possibilité de remetaboliser , vers une capacité de penser différemment sa place , de se percevoir plus individué dans le groupe social d'appartenance secondaire et d'expliciter des choses en prenant des syncrétismes de différents courants. Comme nous l'avons dit au sujet des 'révélations', celles-ci vont être élaborées, il y a aura des rencontres avec des membres importants de la famille, des rites de purification du malade et de sa famille. Les malades auront consommés des produits médicaux traditionnels pour guérir telle organe, faire partir telle 'boule', ouvrir telle 'tuyau bouché', calmer le coeur, fermer le corps.
Tout ceci , mais pour chaque sujet construit de façon unique, va être repris et va petit à petit devenir quelque chose du sujet lui-même. Ainsi il ne fera plus partie d'une masse syncrétique dans lequel il n'y a pas de rapport d'un sujet à un autre. Ceci implique aussi une sorte d'appropriation , un retour dans son histoire qui permet de redémarrer là òu c'était bloqué et là òu ça faisait souffrir.
Par une sorte de construction-interprètation reprise et développée dans le courant du traitement, le chaos de sensations, angoisses et souffrances recoivent un sens global, une unité imaginaire qui permet au patient d'avoir une prise sur sa réalité et d'intégrer des parties auparavent perdus ou clivés.
Pendant la cure il y a un double mouvement qui permet une ouverture vers l'individuation des patients . D'une part le patient peut se rendre compte et faire l'expérience de sa place dans le groupe social ou familial dans lequel il ne comptait pas comme personne individuée mais comme membre échangable du groupe social . D'autre part on en parle - le prophète, les 'mbikudis', les autres dans le groupe - comme quelque chose qui s'est passée dans la transgression. Comme cette transgression est dite et nommée, ce qui est nécessaire dans le groupe primaire ou dans ce qui en reste, une ouverture à l'individuation est créee.
Dans les églises chaque personne, même un enfant , est adressée individuellement aussi dans la présence de la famille . Ceci permet de se distancer un moment du magma groupal dans lequel tout le monde apparaitrait comme géré par un système auquel on ne peut rien. Les paroles adressés au patient pendant les séances ne donnent pas seulement un sens imaginaire mais elle donnent au patient un certain pouvoir de faire quelque chose sur cet ensemble pesant et contraignant.
La thérapie dans les églises de guérison sont en continuité et en rupture avec le modèle thérapeutique traditionnel . Il y a rupture avec la multitude des causes possibles et le fait que chaque personne est rendue responsable, ce qui n'est pas le cas chez le tradipraticien. Chacun est acteur, et dans les causes indiquées, on réfère à une faute faite ,à une incapacité, à un comportement . L'étiologie et le traitement sont en partie individuels . Le traitement aussi vise un changement dans la personne . Le sujet victime dans le monde traditionnel peut rester victime en s'inventant émissaire. Dans la transe , la mbikudi parle au nom de l'Esprit saint, glissement de ce qui est esprit des ancêtres pour le devin traditionnel.
L'individuation se produit aussi dans une réappropriation du corps et de son enveloppe. Les attouchements des parties souffrantes, les massages, les soins aux orifices de la tête - qui sont en même temps signe d'ouverture pour évacuer le mal et pour insouffler la vie - et l'eau aspergé rendent au patient une enveloppe extérieure comme un étai au Soi entrain de se reconstituer.
Restructuration familiale
Le rite thérapeutique permet que des conflits intériorisés qui renvoient au groupe primaire sont traités sur un plan d'individuation. Le patient prend pour la première fois quelque chose qui le concerne dans son être sur lui. Il est poussé à une prise en charge de son histoire et son scenario familial et au développement d'une nouvelle forme d'individualité. Ce travail d'individuation et de repositionnement de l'ensemble familial est souvent ritualisé à la fin du traitement dans la présence des personnages familiaux clés .
Ce n'est que quand la personne malade est guérie de ses 'symptomes' , que ' le mauvais esprit' est chassé , et que le corps s'est remis , que cette élaboration familiale et psychique pourra être faite. Il y a donc un premier temps òu le corps et le monde psychique du malade sont déliés de leur réseau pathogène et mis dans le groupe église contenant, puis un deuxième temps de guérison du corps , finalement un troisième temps de restructuration des relations familiales et qui est une élaboration de ce qui dans la 'révélation' initiale avait surgi . La personne , auparavent malade, maintenant relié différemment à son groupe , est en mesure de faire le passage à sa vie sociale sans le support thérapeutique du groupe-église. Le sujet doit réaffirmer sa fondation , son origine en tant que sujet. On ne lui demande plus de réaffirmer qu'il participe à l'origine du monde par des rituels destinés à remettre en ordre le cosmos. Il y a une dimension de subjectivation des choses.
Dans les révélations et les interprétations multiples des prophètes, il est référé souvent aux problèmes actuels des familles et d'une société en crise. Ils concernent les positions du père et de l'oncle maternel. Dans les cas òu une telle cause et indiquée, il y a ou bien absence significative des deux, ou bien présence des deux, mais conflit entre eux, ou bien absence d'un des deux avec une présence de l'autre . Ces situations familiales non-dites , avec des instances symboliques paternelles vagues ou non-opératoires, se montrent lors des situations de passage de la vie familiale. Souvent , c'est l'adolescent qui par ses actes provoque le père òu l'oncle et le questionne ainsi sur son rôle et sa fonction. La toxicomanie, les actes délinquants, les accès psychotiques, les ruptures avec le milieu familial, le refus des coutumes , la recherche de pouvoirs sorcellaires sont autant d'actes qui sont des réponses aux non-dits pathogènes familiaux. Le prophète prend temporairement le rôle de chef de famille , il remet les figures paternelles défaillantes en place et il les oblige à renégocier ou à clarifier leurs positions réciproques.
La fonction paternelle symbolisante du prophète, le fait qu'il prend sur lui un rôle de chef de famille, nous semble essentielle et nous questionne sur les défaillances de la transmission symbolique dans le contexte social et culturel actuel .Est-ce que la transmission du symbolique ne passe plus actuellement parce que il y a un père réel absent ou défaillant , une mère qui prend sur elle tous les rôles parentaux ou des conflits entre père ( lignée paternelle ) et oncle ( lignée maternelle)? Le champ psychanalytique , qui situe le sujet dans le language , est amené à se poser la question, comment et par quel montage, par quelle fiction , mythologie et instances juridiques, le sujet va se retrouver à chaque generation et va être amené a penser que la division est une affaire qui engage la communauté entière, le groupe familial dans un espace culturel ( Douville 1996). La transmission du symbolique c'est la transmission a chaque generation de la possibilité de se vivre comme impliqué dans le travail de la parole, donc qu'a chaque génération se rejoue des effets de construction de la personne et donc transmission de la vie psychique (Cadoret 1994). Pour que ce montage ou cette opération puisse avoir lieu pour un sujet , qu'est-ce qu'il faut?
La fonction symbolique du therapeutique se retrouve dans la parole du prophète. Le patient est nommé dans sa propre histoire et l'histoire de ceux qui l'ont précédés. On demande au sujet de penser de ce qu'il a pu recevoir, ce qui a pû etre transmis, comment il peut être institué comme un heritier. Le malade est considéré comme un acteur du monde qui a la chance de repenser la cosmogonie du monde là ou il est. Il peut penser comment il est héritier et refabriquer de l'identité familiale et groupale.
Le sujet, malade ou autre membre de la famille, est aussi demandé , en rupture avec le monde traditionnel qui vise à innocenter le malade de tout, quel est son désir de tomber malade òu de rendre l'autre malade.
Bibliographie
Audisio, M. (1994) ' Modernité et évènement, trauma et défense.' Connexions, 63
Augé, M. (1975) 'Logique lignagère et logique de Bregbo.' in C. Piault (red.) 'Prophétisme et thérapeutique' Paris, Ed.Hermann
Cadoret, M. (1994) 'La question de l'identité, transmission, dette, ritualité.' Connexions 63
Devisch, R. (1993) 'Weaving the threads of life: the Khita gyn-eco-logical healing cult among Yaka' University of Chicago Press, Chicago.
Dozon, J.P., Augé M. (1995) ' La cause des prophètes ' Seuil, Paris
Douville O. (1996) 'Cliniciens et anthropologues: vers un dialogue possible?' in 'Anthropologie et cliniques- Recherches et perspectives' Editions ARCP, Rennes
Kaës, R.(1979)' Introduction á l'analyse transitionelle' in 'Crise, rupture et dépassement' Dunod, Paris
Kaës, R.(1987)' Réalité psychique et souffrances dans les institutions' in' L'institution et les institutions' Kaës R.(red.) Dunod, Paris
Le Roy, J. (1994a) 'The cultural foundation of identity' in :Brown and Zinkin (Eds.)'The psyche and the social world' London: Routledge and Kegan
Le Roy, J. (1994b) 'Processus thérapeutiques groupaux dans les églises de guérison à Kinshasa, Zaïre ' , Connexions 63
Puget, J. (1989) 'Groupe analytique et formation', Revue de psychothérapie psychanalytique de groupe, 13.
Rouchy, J.C. (1990) 'Identification et groupes d'appartenance', Connexions 55
Zempleni, A. (1975) 'De la persécution à la culpabilité' in C.Piault (red.) 'Prophétisme et thérapeutique' Ed.Hermann, Paris
Note:
Ce travail de recherche dans les 'églises de l'Esprit saint' fait partie d'une recherche sur 'Choix, utilisation et satisfaction des soins de santé à Kinshasa' de la Commission Européenne (DG XII TS-CT94-0326 responsable Dr. De Bruycker).
Je remercie pour leur commentaires R.Devisch, F.De Boeck, D. Lapika, A.Nsitu, M.Audisio, M.Cadoret, O.Douville, J.C. Rouchy , Monique Desroches et I. Koenders..
|